article paru sur LA MONTAGNE , le 15 avril 2016
entretien fait chez lui , a st léonard de noblat ( 87 )
https://www.google.com/url?sa=i&rct=j&q=&esrc=s&source=images&cd=&ved=0ahUKEwjnhIWilJDNAhXLVRoKHbLND5gQjhwIBQ&url=http%3A%2F%2Fwww.lamontagne.fr%2Flimousin%2Fsports%2Factualite%2Fcyclisme%2F2016%2F04%2F15%2Fraymond-poulidor-les-80-ans-d-une-legende_11871900.html&psig=AFQjCNEfI771FOpGaQd4cmZN4y64SEuJKQ&ust=1465189829013877&cad=rjt
Cyclisme
Limousin > Cyclisme > Saint-Léonard-de-Noblat 15/04/16 - 05h58
Raymond Poulidor, les 80 ans d'une légende
C’est chez lui, à Saint-Léonard-de-Noblat (Haute-Vienne), que Raymond Poulidor a remonté le film à souvenirs. - Photo Thomas Jouhannaud
Raymond Poulidor fête ce vendredi 15 avril ses 80 ans. De sa jeunesse passée à la ferme à la relève de ses petits-enfants, en passant par sa carrière, sa reconversion ou sa popularité, le Miaulétou* a accepté de remonter, décade par décade, le film de ses 80 printemps.
De 0 à 10 ans
L'école. « Mes premières années ont lieu à la ferme. Le travail était dur. Pour ma part, je devais parcourir 4 km pour aller à l’école à Sauviat-sur-Vige (87). L’hiver, on avait le droit de sortir à 16 heures, parce qu’à quatre heures et demie, cinq heures c’était déjà la nuit. Nous, on était de la campagne, les gars de la ville restaient à l’école. La ville, c’était Sauviat. C’était une petite commune, mais pour nous c’était la ville ».
Les maquisards et les grenades. « À Sauviat, il y avait des maquisards. Nous, on était gamins, mais on transportait les armes. Une fois, il y a eu un coup dur parce que les maquisards se déplaçaient avec des charrettes et des chevaux, et ils ont renversé la charrette avec les armes dans les prés que mes parents entretenaient. Et nous, on était allés ramasser les armes et les grenades. On les dégoupillait, on les balançait dans les ruisseaux pour les truites. Il fallait les lancer avant 10 secondes. On les lançait à sept, huit secondes… On est vivant, je ne sais pas comment… On était des petits garnements ».
De 10 à 20 ans
Le battage et les rats. « On a quitté la Mazière et nous sommes allés à la Grange Rouge, à côté d’Auriat. Il y avait ce qu’on appelait le battage. Mon grand truc, à partir de 15-16 ans, c’était d’y participer. Je passais les gerbes de la grange et souvent il y avait des rats, de gros rats, qui mangeaient le grain. Il me tardait alors d’enlever la dernière gerbe de la grange pour voir ces rats. Et avec les fourches, on leur courait après ! »
La boxe et Cerdan. « Cette époque, c’est aussi l’école avec l’instituteur, M. Vialleville, qui était abonné au “Miroir des Sports’’. Je me suis passionné pour la boxe et Marcel Cerdan. Avec mon père, on a pleuré quatre, cinq jours quand il est mort. On ne pensait jamais qu’un gars comme lui pouvait disparaître. À cette époque, j’aurais choisi la boxe. Et puis, il y a le certificat d’études. Moi, j’ai pleuré quand j’ai quitté l’école. Je voulais continuer mais ce n’était pas possible, il fallait payer ».
Le premier vélo. « Mon premier vélo, c’est celui de ma mère. J’allais faire les commissions. Et quand mon père, qui chiquait, avait besoin de tabac, j’allais au Mazeau en acheter. Il y avait une côte pour y aller, je faisais ça à 30 à l’heure avec le vélo de ma mère. Je montais tout ça au sprint et j’allais à Saint-Moreil acheter le café ou le pain […] ».
La première course. « La première course que j’ai faite, c’est à Saint-Moreil. On appelait ça les courses sauvages aux non licenciés. Puis, ma première course officielle, c’est le “Premier Pas Dunlop”. Il fallait avoir 17 ans. J’ai fait l’éliminatoire départemental à Bourganeuf. Les trois premiers étaient qualifiés. J’ai fait 4e ».
De 20 à 30 ans
"L'espoir du Limousin". « 1956, le Bol d’Or des Monédières, j’ai tout juste 20 ans, j’ai failli battre tous les professionnels. J’ai fait les Grands Prix de la montagne, de meilleur régional… et les gros titres de la presse. Ils avaient titré “L’espoir du Limousin’’. Et puis après, ma dernière course de 1956, je l’ai faite au Palais-sur-Vienne. On appelait ça “Monter le petit Tourmalet’’. J’ai failli doubler les gars sur 7 bornes. Je gagne avec six, sept minutes d’avance. Le lendemain, je pars au service militaire. Le drame ».
L'armée, l'Algérie. « En 1956, je pouvais faire le Tour de France sans problème. Mais je suis parti à l’armée en septembre 56, je suis revenu en décembre 58. C’est terrible deux ans et demi sans vélo… À l’armée, je pensais toujours au vélo. J’étais dans la Forêt Noire. On faisait les manœuvres. On couchait sous la tente, il faisait -35°. D’ailleurs, on n’y est resté que la moitié d’une nuit parce qu’on aurait crevé… Durant près d’un an, je suis envoyé en Algérie. C’est la guerre, c’est dur, même si je suis détaché en tant que chauffeur ».
Des kilos en trop. « Quand je suis revenu, je n’avais pas l’impression d’avoir grossi, mais quand je suis passé sur la bascule, j’avais pris 15 kg ! Le lendemain, j’ai décroché le vélo, j’ai fait 80 km. Je me suis dit : “tiens, ça a l’air d’aller !”. Le jour d’après, j’ai voulu faire pareil. J’ai fait 20 km à peine… Je me suis alors entraîné comme un dingue tout décembre et janvier, dans le froid, dans la neige et j’ai perdu pratiquement tout mon poids ».
Le début de la popularité« En 1960, je fais mon premier Paris-Nice. Antonin Magne disait : “C’est pas possible, vous attaquez dans tous les tas de crottin !”. Et après, tous les jours, c’était “Poulidor, Poulidor”. Je n’avais pratiquement rien fait, rien gagné. Alors ça a énervé évidemment Anquetil. Mais les organisateurs voulaient Poulidor… ».
De 30 à 40 ans
Une 2e carrière avec Caput. « Antonin Magne a pris sa retraite et Louis Caput est arrivé. Antonin Magne, c’était l’ancienne école. Il était trop droit. Impossible de passer outre les règlements, pas le droit de monter à la hauteur d’un coureur. Quand on voit ce qui se passe maintenant… Avec Caput, ça a été ma deuxième carrière. En 1974, s’il n’y a pas cette journée de repos, je peux gagner le Tour. Merckx, je lui posais des problèmes, je le lâchais régulièrement dans les côtes ».
Le voeu d'Anquetil. « Cette période, c’est l’apogée de ma popularité. Anquetil venait me voir tous les jours en 74 : “Si tu peux gagner le Tour, je suis content. Il faut battre Merckx, tu vas gagner”. Je me suis posé la question. Anquetil avait gagné 5 tours, Merckx en avait gagné 4 et était en train de gagner le cinquième. Mais je pense qu’il était sincère ».
De 40 à 50 ans
La dernière course. « Je dispute ma dernière course en 1977 à Wambrechies, dans le Nord. J’ai un souvenir énorme. On était venu me chercher avec un avion particulier à Limoges. Dedans, il y avait ma femme, ma fille, Claude Louis, “Vivi” Perrier et les deux chiens. C’était le 25 décembre. C’était ma dernière course, mon dernier maillot, mais ça ne m’a pas marqué comme fin janvier où, habituellement, je faisais mes valises pour la Côte d’Azur. Là, au début de l’année 78, quand je n’ai pas fait ma valise, ça a été dur pour le moral… ».
L'après-carrière. « Pour ma reconversion, je n’avais rien préparé. J’ai eu une chance énorme, je n’ai jamais été demandeur, c’est moi qui choisissais. On voulait que je sois directeur sportif chez Mercier, je n’ai pas voulu. C’est là que je suis rentré chez Manufrance. C’est ma plus grande déception. Une image de marque terrible. On a fait des vélos Poulidor. Quand je suis arrivé, ils vendaient environ 15.000 vélos par an. Avec moi, on en a vendu 30.000. Seulement, au lieu de perdre sur 15.000 vélos ils ont perdu sur 30.000. J’y suis resté six mois.
Après, j’ai enchaîné France Loire. Je faisais des promotions dans les grandes surfaces, il m’arrivait de vendre 200 vélos dans la journée. Ça a été une grande période pour moi et à France Loire on s’est retrouvé avec Anquetil […]. Cette reconversion s’est faite naturellement. Je peux dire que j’ai gagné plus d’argent après que pendant le vélo ».
De 50 à 60 ans
Les promotions« Je faisais environ 60-70 manifestations dans l’année. C’était mon contrat avec la société France Loire. Tous les gens venaient, je faisais un peu de cinéma, je montais les vélos : “Il vous faut telle taille” ».
La folie des dédicaces. « Durant cette période, on m’a aussi demandé de suivre pratiquement toutes les courses. J’étais tous les ans au Tour de France. Les premiers avec les Grands Moulins de Paris, puis avec le Crédit Lyonnais. La première fois que j’ai fait le Tour de France avec les Grands Moulins de Paris, on avait organisé des séances de dédicaces à l’arrivée de l’étape. Et puis, la société du Tour a arrêté ça pour une bonne raison : il y aurait eu presque des morts… Les gosses, tout le monde trépignait pour avoir des dédicaces. Je signais je ne sais pas combien de photos. Des fois, j’en dédicaçais à l’hôtel ou une entre-deux, mais les gens regardaient, ils voulaient que je signe devant eux ! Quand il y avait des milliers de personnes, ils voulaient tous avoir la signature en même temps. C’est pas possible ! Alors si tu en signes à l’avance ils ne sont pas contents, il faut savoir ».
Les premiers livres. « Jacques Augendre m’avait demandé. J’avais dit non. Je ne voulais pas faire de livre, c’est trop de boulot. Jean-Paul Brouchon m’a demandé aussi, pendant un ou deux ans, parce que j’avais fait deux, trois Tour de France avec lui avec France Inter quand j’ai arrêté de courir. Il connaissait bien ma carrière. Il disait : “mais si, tu vas voir, il n’y a rien à faire. On se voit une semaine et puis c’est bon !”. Il m’a tellement, tellement, cassé la tête, qu’un jour je lui dis : “bon, allez, c’est d’accord. On fait le livre’’. Je n’avais rien demandé. Il trouve un éditeur, Jacob-Duvernet, ils sont venus à Saint-Léonard et ils m’ont apporté un contrat comme quoi j’avais droit à 10 % sur la vente des livres. Et le livre s’est vendu comme des petits pains…
Après, il a dit : “on en fait un deuxième”. C’est le “Poulidor intime”. Il s’est encore vendu. On en a fait un troisième, “Album souvenir”. Ils se sont tous bien vendus. Et puis, il y a le dernier, au Cherche-Midi, avec Bernard Verret. Tout le monde m’a dit que c’était le mieux ».
De 60 à 70 ans
Officier de la Légion d'Honneur en 2003 (chevalier en 1973). « Cette décoration, c’est toujours un peu particulier. La première, quand j’ai été désigné pour la Légion d’Honneur, j’ai failli refuser. Ce n’est pas normal pour un sportif. Ou alors, à la limite, le Mérite national. La Légion d’Honneur, il y en a tellement qui la mérite qui ne l’ont pas. Quand je vois qu’on remet à titre posthume la Légion d’Honneur, ça me fait rire. Il y a des poilus qui ne l’ont pas eue. Après, bien sûr, c’est une fierté d’être parmi les récipiendaires ».
Le départ du Tour de France à Saint-Léonard en 2004. « Je n’étais pas au courant. Un jour, je vais en vélo à la grande surface acheter des bricoles et qui est-ce que je vois sur la route ? Jean-François Pescheux et Stéphane Boury du Tour de France. Ils pensaient que j’étais au courant. C’est là que j’ai appris. Ils m’ont tout raconté, ils avaient l’intention de faire l’étape Saint-Léonard - Guéret contre la montre mais ils ont trouvé que c’était trop dur. Ça a été une belle fête en tout cas à Saint-Léonard ».
La retraite. « J’ai décidé un jour : “je vais prendre ma retraite”. Je suis allé à Limoges, ils ont tapé sur leur ordinateur et tout d’un coup est sorti : “inconnu à l’adresse’’. J’habite dans la rue Léon-Jouhaux, le syndicaliste. Or le syndicaliste s’écrit avec un X et le général avec un D. Et là, ils avaient mis un D. Finalement, quand ils ont tapé un X sur leur ordinateur, tout est sorti.
Quand on est jeune, on n’y pense pas à sa retraite. J’avais été très bien conseillé. Quand je faisais la publicité, je me faisais payer en salaire, ce qui m’a permis d’avoir une retraite complémentaire. Je ne me souviens plus quand j’ai pris officiellement ma retraite. Mais j’avais les 70 ans bien sonnés ».
De 70 à 80 ans
La relève des petits-enfants. « Mes deux petits-enfants, David et Mathieu, étaient tous les deux doués pour tous les sports. L’aîné (David) avait été contacté par Eindhoven (Pays-Bas) en football. Il était très bon. Un jour, il y avait un challenge et normalement ils étaient favoris avec son équipe. Ils avaient un bon groupe mais ils ont été battus 1-0. Lui a pleuré et les autres ont rigolé. Il a dit : “puisque c’est comme ça, je ferai un sport individuel”. Ils ont commencé tous les deux à courir, ils avaient six, sept ans, des petits trucs pour les gamins. Mathieu doit avoir aujourd’hui 500 ou 600 victoires. À 7 ans, il gagnait tout. À 20 ans, il gagne tout, c’est incroyable. Il a quelque chose. Et il s’amuse, on dirait qu’il ne force pas. Je suis bien sûr très fier d’eux ».
Entretien Xavier Georges
*nom des habitants de Saint-Léonard-de-Noblat, en Haute-Vienne.
entretien fait chez lui , a st léonard de noblat ( 87 )
https://www.google.com/url?sa=i&rct=j&q=&esrc=s&source=images&cd=&ved=0ahUKEwjnhIWilJDNAhXLVRoKHbLND5gQjhwIBQ&url=http%3A%2F%2Fwww.lamontagne.fr%2Flimousin%2Fsports%2Factualite%2Fcyclisme%2F2016%2F04%2F15%2Fraymond-poulidor-les-80-ans-d-une-legende_11871900.html&psig=AFQjCNEfI771FOpGaQd4cmZN4y64SEuJKQ&ust=1465189829013877&cad=rjt
Cyclisme
Limousin > Cyclisme > Saint-Léonard-de-Noblat 15/04/16 - 05h58
Raymond Poulidor, les 80 ans d'une légende
C’est chez lui, à Saint-Léonard-de-Noblat (Haute-Vienne), que Raymond Poulidor a remonté le film à souvenirs. - Photo Thomas Jouhannaud
Raymond Poulidor fête ce vendredi 15 avril ses 80 ans. De sa jeunesse passée à la ferme à la relève de ses petits-enfants, en passant par sa carrière, sa reconversion ou sa popularité, le Miaulétou* a accepté de remonter, décade par décade, le film de ses 80 printemps.
De 0 à 10 ans
L'école. « Mes premières années ont lieu à la ferme. Le travail était dur. Pour ma part, je devais parcourir 4 km pour aller à l’école à Sauviat-sur-Vige (87). L’hiver, on avait le droit de sortir à 16 heures, parce qu’à quatre heures et demie, cinq heures c’était déjà la nuit. Nous, on était de la campagne, les gars de la ville restaient à l’école. La ville, c’était Sauviat. C’était une petite commune, mais pour nous c’était la ville ».
Les maquisards et les grenades. « À Sauviat, il y avait des maquisards. Nous, on était gamins, mais on transportait les armes. Une fois, il y a eu un coup dur parce que les maquisards se déplaçaient avec des charrettes et des chevaux, et ils ont renversé la charrette avec les armes dans les prés que mes parents entretenaient. Et nous, on était allés ramasser les armes et les grenades. On les dégoupillait, on les balançait dans les ruisseaux pour les truites. Il fallait les lancer avant 10 secondes. On les lançait à sept, huit secondes… On est vivant, je ne sais pas comment… On était des petits garnements ».
De 10 à 20 ans
Le battage et les rats. « On a quitté la Mazière et nous sommes allés à la Grange Rouge, à côté d’Auriat. Il y avait ce qu’on appelait le battage. Mon grand truc, à partir de 15-16 ans, c’était d’y participer. Je passais les gerbes de la grange et souvent il y avait des rats, de gros rats, qui mangeaient le grain. Il me tardait alors d’enlever la dernière gerbe de la grange pour voir ces rats. Et avec les fourches, on leur courait après ! »
La boxe et Cerdan. « Cette époque, c’est aussi l’école avec l’instituteur, M. Vialleville, qui était abonné au “Miroir des Sports’’. Je me suis passionné pour la boxe et Marcel Cerdan. Avec mon père, on a pleuré quatre, cinq jours quand il est mort. On ne pensait jamais qu’un gars comme lui pouvait disparaître. À cette époque, j’aurais choisi la boxe. Et puis, il y a le certificat d’études. Moi, j’ai pleuré quand j’ai quitté l’école. Je voulais continuer mais ce n’était pas possible, il fallait payer ».
Le premier vélo. « Mon premier vélo, c’est celui de ma mère. J’allais faire les commissions. Et quand mon père, qui chiquait, avait besoin de tabac, j’allais au Mazeau en acheter. Il y avait une côte pour y aller, je faisais ça à 30 à l’heure avec le vélo de ma mère. Je montais tout ça au sprint et j’allais à Saint-Moreil acheter le café ou le pain […] ».
La première course. « La première course que j’ai faite, c’est à Saint-Moreil. On appelait ça les courses sauvages aux non licenciés. Puis, ma première course officielle, c’est le “Premier Pas Dunlop”. Il fallait avoir 17 ans. J’ai fait l’éliminatoire départemental à Bourganeuf. Les trois premiers étaient qualifiés. J’ai fait 4e ».
De 20 à 30 ans
"L'espoir du Limousin". « 1956, le Bol d’Or des Monédières, j’ai tout juste 20 ans, j’ai failli battre tous les professionnels. J’ai fait les Grands Prix de la montagne, de meilleur régional… et les gros titres de la presse. Ils avaient titré “L’espoir du Limousin’’. Et puis après, ma dernière course de 1956, je l’ai faite au Palais-sur-Vienne. On appelait ça “Monter le petit Tourmalet’’. J’ai failli doubler les gars sur 7 bornes. Je gagne avec six, sept minutes d’avance. Le lendemain, je pars au service militaire. Le drame ».
L'armée, l'Algérie. « En 1956, je pouvais faire le Tour de France sans problème. Mais je suis parti à l’armée en septembre 56, je suis revenu en décembre 58. C’est terrible deux ans et demi sans vélo… À l’armée, je pensais toujours au vélo. J’étais dans la Forêt Noire. On faisait les manœuvres. On couchait sous la tente, il faisait -35°. D’ailleurs, on n’y est resté que la moitié d’une nuit parce qu’on aurait crevé… Durant près d’un an, je suis envoyé en Algérie. C’est la guerre, c’est dur, même si je suis détaché en tant que chauffeur ».
Des kilos en trop. « Quand je suis revenu, je n’avais pas l’impression d’avoir grossi, mais quand je suis passé sur la bascule, j’avais pris 15 kg ! Le lendemain, j’ai décroché le vélo, j’ai fait 80 km. Je me suis dit : “tiens, ça a l’air d’aller !”. Le jour d’après, j’ai voulu faire pareil. J’ai fait 20 km à peine… Je me suis alors entraîné comme un dingue tout décembre et janvier, dans le froid, dans la neige et j’ai perdu pratiquement tout mon poids ».
Le début de la popularité« En 1960, je fais mon premier Paris-Nice. Antonin Magne disait : “C’est pas possible, vous attaquez dans tous les tas de crottin !”. Et après, tous les jours, c’était “Poulidor, Poulidor”. Je n’avais pratiquement rien fait, rien gagné. Alors ça a énervé évidemment Anquetil. Mais les organisateurs voulaient Poulidor… ».
De 30 à 40 ans
Une 2e carrière avec Caput. « Antonin Magne a pris sa retraite et Louis Caput est arrivé. Antonin Magne, c’était l’ancienne école. Il était trop droit. Impossible de passer outre les règlements, pas le droit de monter à la hauteur d’un coureur. Quand on voit ce qui se passe maintenant… Avec Caput, ça a été ma deuxième carrière. En 1974, s’il n’y a pas cette journée de repos, je peux gagner le Tour. Merckx, je lui posais des problèmes, je le lâchais régulièrement dans les côtes ».
Le voeu d'Anquetil. « Cette période, c’est l’apogée de ma popularité. Anquetil venait me voir tous les jours en 74 : “Si tu peux gagner le Tour, je suis content. Il faut battre Merckx, tu vas gagner”. Je me suis posé la question. Anquetil avait gagné 5 tours, Merckx en avait gagné 4 et était en train de gagner le cinquième. Mais je pense qu’il était sincère ».
De 40 à 50 ans
La dernière course. « Je dispute ma dernière course en 1977 à Wambrechies, dans le Nord. J’ai un souvenir énorme. On était venu me chercher avec un avion particulier à Limoges. Dedans, il y avait ma femme, ma fille, Claude Louis, “Vivi” Perrier et les deux chiens. C’était le 25 décembre. C’était ma dernière course, mon dernier maillot, mais ça ne m’a pas marqué comme fin janvier où, habituellement, je faisais mes valises pour la Côte d’Azur. Là, au début de l’année 78, quand je n’ai pas fait ma valise, ça a été dur pour le moral… ».
L'après-carrière. « Pour ma reconversion, je n’avais rien préparé. J’ai eu une chance énorme, je n’ai jamais été demandeur, c’est moi qui choisissais. On voulait que je sois directeur sportif chez Mercier, je n’ai pas voulu. C’est là que je suis rentré chez Manufrance. C’est ma plus grande déception. Une image de marque terrible. On a fait des vélos Poulidor. Quand je suis arrivé, ils vendaient environ 15.000 vélos par an. Avec moi, on en a vendu 30.000. Seulement, au lieu de perdre sur 15.000 vélos ils ont perdu sur 30.000. J’y suis resté six mois.
Après, j’ai enchaîné France Loire. Je faisais des promotions dans les grandes surfaces, il m’arrivait de vendre 200 vélos dans la journée. Ça a été une grande période pour moi et à France Loire on s’est retrouvé avec Anquetil […]. Cette reconversion s’est faite naturellement. Je peux dire que j’ai gagné plus d’argent après que pendant le vélo ».
De 50 à 60 ans
Les promotions« Je faisais environ 60-70 manifestations dans l’année. C’était mon contrat avec la société France Loire. Tous les gens venaient, je faisais un peu de cinéma, je montais les vélos : “Il vous faut telle taille” ».
La folie des dédicaces. « Durant cette période, on m’a aussi demandé de suivre pratiquement toutes les courses. J’étais tous les ans au Tour de France. Les premiers avec les Grands Moulins de Paris, puis avec le Crédit Lyonnais. La première fois que j’ai fait le Tour de France avec les Grands Moulins de Paris, on avait organisé des séances de dédicaces à l’arrivée de l’étape. Et puis, la société du Tour a arrêté ça pour une bonne raison : il y aurait eu presque des morts… Les gosses, tout le monde trépignait pour avoir des dédicaces. Je signais je ne sais pas combien de photos. Des fois, j’en dédicaçais à l’hôtel ou une entre-deux, mais les gens regardaient, ils voulaient que je signe devant eux ! Quand il y avait des milliers de personnes, ils voulaient tous avoir la signature en même temps. C’est pas possible ! Alors si tu en signes à l’avance ils ne sont pas contents, il faut savoir ».
Les premiers livres. « Jacques Augendre m’avait demandé. J’avais dit non. Je ne voulais pas faire de livre, c’est trop de boulot. Jean-Paul Brouchon m’a demandé aussi, pendant un ou deux ans, parce que j’avais fait deux, trois Tour de France avec lui avec France Inter quand j’ai arrêté de courir. Il connaissait bien ma carrière. Il disait : “mais si, tu vas voir, il n’y a rien à faire. On se voit une semaine et puis c’est bon !”. Il m’a tellement, tellement, cassé la tête, qu’un jour je lui dis : “bon, allez, c’est d’accord. On fait le livre’’. Je n’avais rien demandé. Il trouve un éditeur, Jacob-Duvernet, ils sont venus à Saint-Léonard et ils m’ont apporté un contrat comme quoi j’avais droit à 10 % sur la vente des livres. Et le livre s’est vendu comme des petits pains…
Après, il a dit : “on en fait un deuxième”. C’est le “Poulidor intime”. Il s’est encore vendu. On en a fait un troisième, “Album souvenir”. Ils se sont tous bien vendus. Et puis, il y a le dernier, au Cherche-Midi, avec Bernard Verret. Tout le monde m’a dit que c’était le mieux ».
De 60 à 70 ans
Officier de la Légion d'Honneur en 2003 (chevalier en 1973). « Cette décoration, c’est toujours un peu particulier. La première, quand j’ai été désigné pour la Légion d’Honneur, j’ai failli refuser. Ce n’est pas normal pour un sportif. Ou alors, à la limite, le Mérite national. La Légion d’Honneur, il y en a tellement qui la mérite qui ne l’ont pas. Quand je vois qu’on remet à titre posthume la Légion d’Honneur, ça me fait rire. Il y a des poilus qui ne l’ont pas eue. Après, bien sûr, c’est une fierté d’être parmi les récipiendaires ».
Le départ du Tour de France à Saint-Léonard en 2004. « Je n’étais pas au courant. Un jour, je vais en vélo à la grande surface acheter des bricoles et qui est-ce que je vois sur la route ? Jean-François Pescheux et Stéphane Boury du Tour de France. Ils pensaient que j’étais au courant. C’est là que j’ai appris. Ils m’ont tout raconté, ils avaient l’intention de faire l’étape Saint-Léonard - Guéret contre la montre mais ils ont trouvé que c’était trop dur. Ça a été une belle fête en tout cas à Saint-Léonard ».
La retraite. « J’ai décidé un jour : “je vais prendre ma retraite”. Je suis allé à Limoges, ils ont tapé sur leur ordinateur et tout d’un coup est sorti : “inconnu à l’adresse’’. J’habite dans la rue Léon-Jouhaux, le syndicaliste. Or le syndicaliste s’écrit avec un X et le général avec un D. Et là, ils avaient mis un D. Finalement, quand ils ont tapé un X sur leur ordinateur, tout est sorti.
Quand on est jeune, on n’y pense pas à sa retraite. J’avais été très bien conseillé. Quand je faisais la publicité, je me faisais payer en salaire, ce qui m’a permis d’avoir une retraite complémentaire. Je ne me souviens plus quand j’ai pris officiellement ma retraite. Mais j’avais les 70 ans bien sonnés ».
De 70 à 80 ans
La relève des petits-enfants. « Mes deux petits-enfants, David et Mathieu, étaient tous les deux doués pour tous les sports. L’aîné (David) avait été contacté par Eindhoven (Pays-Bas) en football. Il était très bon. Un jour, il y avait un challenge et normalement ils étaient favoris avec son équipe. Ils avaient un bon groupe mais ils ont été battus 1-0. Lui a pleuré et les autres ont rigolé. Il a dit : “puisque c’est comme ça, je ferai un sport individuel”. Ils ont commencé tous les deux à courir, ils avaient six, sept ans, des petits trucs pour les gamins. Mathieu doit avoir aujourd’hui 500 ou 600 victoires. À 7 ans, il gagnait tout. À 20 ans, il gagne tout, c’est incroyable. Il a quelque chose. Et il s’amuse, on dirait qu’il ne force pas. Je suis bien sûr très fier d’eux ».
Entretien Xavier Georges
*nom des habitants de Saint-Léonard-de-Noblat, en Haute-Vienne.