Je viens de passer une semaine chez LaFraise Cycles à Roubaix, en compagnie d’Andreas Behrens, où j’ai suivi son « cours cadreur ». Et c’est un sans faute !
Le projet remonte à loin, j’ai dû soigneusement le budgéter, mais le résultat est à la hauteur. Pas encore pour le vélo bien que je n'aie aucun doute (il n’est pas monté à l’heure où j’écris ces lignes), mais pour l’expérience : ce que j’ai appris et ce que j’ai vécu.
J’ai suivi le parcours standard : inscription sur le site LaFraise, retour rapide d’Andreas qui propose un calendrier. La demande est là, alors il faut être patient. Dans mon cas, 10 mois exactement. C’est pas plus mal, on est pas pressé, on est dans le temps long, ça permet de faire mûrir le projet dans tous ses détails. Ca permet aussi de trouver comment se loger et de réserver son train au meilleur prix. Dans les semaines qui précèdent, on échange par mail et par téléphone pour préparer le projet. Dans mon cas, mon cahier des charges stipule : « une randonneuse, classique, avec des raccords et un tube horizontal qui est horizontal ». LaFraise en a déjà réalisé plusieurs et je comprendrai plus tard qu’Andreas affectionne particulièrement ces vélos.
Je suis aussi un cas particulier : longues jambes-petit tronc (dans des proportions que la prise de mesure montrera comme assez rares). Nos discussions montrent que la géométrie du cadre risque d’imposer des roues de 650b plutôt que 700c, pour éviter le « toe overlap ». D’autant que, bien sûr, le vélo sera doté de garde-boue. Ca me va bien.
On s’oriente vers une randonneuse classique en 650, pneus de 38. L’équipement sera moderne, mais je voudrais bien monter une paire de Mafac 2000 dont j’ai les tasseaux à braser. Potence à plongeur, porte paquet avant, pas de porte bagage puisque je suis devenu adepte du bike packing. Pas d’éclairage parce que, de toute façon, j’ai trop peur de rouler la nuit.
L’avant-projet est réalisé sur ordinateur (BikeCAD) par Andreas.
Arrivée le lundi matin à l’atelier. Je devrais plutôt dire « à l’usine », car en effet LaFraise est installé dans l’hôtel d’entreprise de l’ancienne usine Cavrois Mahieu. https://www.villacavrois.org/2000/03/lusine-cavrois-mahieu-fils.html
Ce lieu (je devrais dire « ce non lieu » !) mérite à lui seul qu’on s’y intéresse. L’usine était promise à la démolition et le site convoité par des promoteurs, mais elle a été sauvée par l’association « Le Non-Lieu » qui la maintient en y introduisant des activités de création artistique contemporaine (événements, expositions, résidences d’artistes…).
Je fais la connaissance du second apprenti, venu pour construire le cadre qui sera le jumeau de ma randonneuse : un klunker revisité et modernisé. https://en.wikipedia.org/wiki/Mountain_bike#Origins
Le premier jour, le projet est validé : prise de mesures, choix des tubes et des raccords. Le vélo sera en Columbus SL, les bases en Zona. Je note que les fourreaux ne sont pas cintrés, et ça m’intrigue puis je n’y pense plus…
Les tubes du triangle principal sont coupés, avec les angles qui vont bien, et assemblés sur un gabarit réglé au millimètre.
En quelques heures, le cadre prend forme, mais il reste encore beaucoup de travail.
Andreas dose parfaitement la quantité de travail à fournir, et maîtrise les délais. Il connait manifestement les limites des débutants que nous sommes ! Il organise et prépare le travail, mais c’est nous qui scions, limons et ponçons l’acier.
Et puis c’est nous qui soudons ! Je réaliserai à la fin du stage (que je ramenais naïvement à l’apprentissage de la soudure) le nombre d’opérations que requiert la construction d’un cadre de vélo.
Mais la soudure reste le point d’orgue. Je dois avouer ne pas m’être senti très doué, mais je pense avoir progressé. On commence par les porte-bidons : prise de mesure, poinçonnage puis perçage. Brasure à l’argent.
Le premier soir, ça ressemble déjà à un vélo
Les jours suivants, nous allons respectivement souder le triangle principal, découper bases et haubans pour créer le triangle arrière, souder toutes les finitions (inserts, tasseaux…) le quatrième jour, et réaliser la fourche le dernier jour.
Alésage du tube de selle
La question du raccord des haubans au raccord de selle se pose : quelle forme leur donner. Andreas me propose ce qu’il a déjà réalisé sur plusieurs vélos : la cuillère. C’est très joli, bien dans l’esprit du vélo, alors c’est parti pour la réalisation de deux cuillères ! Attention, on ne parle pas de braser une pièce toute faite, mais ici aussi de sur-mesure
Le hauban est limé en biseau, et en creux
un bout de tube est coupé en deux, puis brasé sur le hauban
Tout ce qui dépasse est coupé, limé, poncé. Joli, non ?
Avant de braser les pattes et la tête de fourche, les fourreaux sont cintrés, avec un outil dédié (non photographié) sur lequel on fixe la chasse souhaitée.
(remarquez la superbe tête de fourche )
Sur les bases sont créées des fossettes pour le passage des plateaux et des manivelles.
La géométrie de mon vélo est telle qu’elle ne sera pas compatible avec les Mafac 2000. Il fallait s’en douter, mais seuls des Mafac RAID pourraient faire l’affaire. J’hésite un peu et puis nous optons pour des cantilevers (maintenant que je sais soudo-braser, je garde mes tasseaux pour m’amuser plus tard sur un cadre en Durifort ).
Un outil dédié permet de positionner les tasseaux, notez également le pontet réalisé dans un tube inox cintré sous lequel on a brasé un insert pour la fixation, invisible, du garde boue :
Deux méthodes sont utilisées pour souder ce type de cadre :
1. La brasure à l’argent, pour les petites pièces (inserts bidons) et pour les raccords. Le taux d’argent peut varier selon les pièces à souder.
3. La soudo-brasure au bronze (utilisée pour le klunker de mon camarade) pour les tasseaux de freins.
L’intensité de la flamme dans le second cas oblige à porter des verres teintés (incompatibles dans mon cas avec ma presbytie, heureusement que j’ai brasé à l’argent presque tout le vélo !). Dans les deux cas, on n’oublie pas de badigeonner de flux (https://fr.wikipedia.org/wiki/Flux_de_brasage) avant l’opération.
Voilà, une semaine plus tard, mission accomplie. Une expérience formidable que je recommande notamment à celles et ceux qui envisagent le sur mesure. Je n’ai pas encore roulé avec, mais j’imagine la satisfaction de conduire une machine dont on connait aussi intimement la constitution !
Last but not least, vous ferez la connaissance d’Andreas Behrens, que je remercie pour son accueil, sa patience, sa pédagogie et les moments de convivialité partagés.
L'atelier est une caverne d'Ali Baba
Au plafond, la contribution de LaFraise au concours de Machines 2017 (je crois). Notez que cette année, le concours était justement organisé par LaFraise, la semaine précédent ma venue.
Le cadre et la fourche sont restés à Roubaix. LaFraise va les transformer maintenant en vélo : peinture, composants… Ce sera une autre histoire que je posterai le moment venu